Delteil (Joseph),1894-1978, une figure originale et anticonformiste de la littérature française | |||||
40 ans avril 1978-avril 2018
« Je suis né d’une femme » Mes aïeux vivaient entre les Pyrénées et l’Océan. A la recherche des rivières poissonneuses, des gués à rennes, des grottes à ours. Mon arrière grand-père, le magdalénien, naquit en l’an 25 000 av J.-C., du côté de la Dordogne. Il procréa sous un tilleul, d’où Delteil, du Tilleul.[…] Je suis né d’une femme, on l’oublie toujours. Je suis né dans une forêt, en avril, mois tempétueux entre une bourrasque et une soleillée. L’état-civil dit à Villar-en-Val, mais j’imagine plutôt à Picarrot (je dis parfois, de biais, sur les bords du Yang-tsé-kiang).Tantôt je vois une cabane de bruyère au soleil, tantôt une petite maison de lauzes à vieilles tuiles romanes, sous les cerisiers en fleur. Papa bûcheron bûcheronnait aux alentours, j’avais trois ou quatre ans, je jouais à Adam. Je me souviens qu’il y avait un nid de roitelet, et la maman par intervalles entrait et sortait, avec son cri spécifique, un vermillon au bec. Les rayons de soleil traversaient les branchages et venaient jouer avec mes orteils. J’entends encore le ruisseau, j’entends le vent…j’avais les menottes pleines d’odeurs, les oreilles bourdonnantes d’abeilles. La terre était douce. La Deltheillerie, Paris, Grasset, 1968, p.15-16. Illustration : L’écureuil et le Petit Jésus, eau-forte de Mariette Lydis pour Le Petit Jésus (1928) Après tout combien de fois suis-je déjà mort ! La première fois à Saint-Raphaël, à vingt ans. J’étais soldat, tirailleur sénégalais s’il vous plaît. Je rentrais de permission. Mais le train ne s’arrêtait pas à cette gare, j’allais être en retard, et mes quatre jours de prison. Ma seule ressource était de sauter du train en marche. Le moment venu, et le convoi ralentissant, je me lançai dans le vide, mais inconsciemment, et Dieu merci, la main toujours cramponnée à la portière. Je me sentis balancé un instant dans le monde et soudain me retrouvai dans le wagon, le cœur battant et fou de vie. Je l’avais échappé belle. » La Deltheillerie, Paris, Grasset, 1968, p.249. « J’aimerais mourir un jour dans ce village de Pieusse » Tout ce que je sais, moi l’homme des bois, c’est que j’aimerais mourir un jour dans ce village de Pieusse, Piousso-lès-Balandrans, où d’ailleurs je ne suis pas né, mais que j’ai humé, respiré, palpé, mordu, chié, joué aux boules, foulé aux pieds, tressailli, digéré à partir de l’âge de deux ou trois ans, entre le breilh de la barque où nous lavâmes tant de lessives avec maman et notre vigne de Fourques où les comportes aux vendanges étaient si lourdes à porter au pal, sans oublier cet endroit limoneux au bord du Rec où le ciel est si bleu, et où la pie tous les matins à 7 heures faisait son tintamarre ; la mort y serait, me semble-t-il, plus étrange, plus étrangère qu’ailleurs, et quelque chose de moi y serait immortel. J.D. « L’homme des bois » , Lire le pays, Balades Littéraires ( édité pour le Centenaire de l’Humanité) Ed. Le Passeur.
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