Delteil
Un occitan qui s'émerveille
Joseph Delteil revendique dans un passage de la Deltheillerie
l'appartenance à la communauté culturelle occitane.
Cette occitanité primale, il la transporte en lui. Elle lui remonte des
sources les plus profondes dont ont jailli sa maman et son papa d'Ariège.
Delteil parle de son écriture comme d'un combat entre le français et ce
que lui en fait. Il parle de cette langue qui jusqu'au bord de sa bouche et
de ses yeux, au bout de sa main le relance, s'amuse à tortiller son
français, à lui donner de la chair et des muscles, à le violer pour en faire
surgir une troisième langue.
Delteil est le lieu, le receptacle, le sac de cette lutte entre la langue
officielle, celle des bons pères de Carcassonne avec sa syntaxe, ses
adjectifs et ses verbes, qui marche en lignes de mots corrects et
endimanchés et l'occitan, le patois.
Là encore c'est le coeur qui l'emporte sur la doctrine, le souffle et le
sang sur la raison, la voix sur l'écrit. Il préfère le mot patois, celui de
sa maman, à occitan qui lui sonne savantasse - tiens, un suffixe occitan
qui, dans ce cas, viserait à traduire un aspect lourdement emmerdant de la
chose-. Delteil laisse jouer en lui cette sève, il la laisse rappliquer dès
avant le premier mouvement du crayon avec ses bataillons bruyants et
colorés, odorants comme la merde fumante du facteur de Jésus II, avec ses
mots minéraux, ses adjectifs végétaux. Il se garde bien de la maîtriser, il
s'amuse et s'émerveille de cette danse de Saint Guy secrète qui le
chatouille et le triture. Il lui offre sa prose et lui, qui l'air de rien
travaille tant ses textes, qui les charcute pour n'en conserver et n'en
livrer que ce qu'il juge, à la fin des fins, digne de l'être, compte les
points et maintient en jubilant ce qui dans la forme occitanisée donne la
juste saveur et le juste son des choses, la juste lumière et la juste
humeur. Encore les sens, encore la chair.
Delteil, toujours à la limite du rire et de la douleur, jardinier et
contemplatif, chancelant et inébranlable, Delteil est schizophrène parce
qu'occitan. Il souffre d'une dualité qui lui est originelle : il est autre
parce qu'il pense avec la glaise de son cerveau et de son corps, avec le
sang de sa lignée profonde et lointaine, abyssale et paléolithique, autre
parce que ripoliné tant et tant par le statut extérieur de fils Delteil,
d'élève Delteil, d'écrivain Delteil, et tutti quanti, tant et tant que la
couleur est comme un habit souple et familier, qu'elle lui va comme un gant.
Il rêve de vivre nu.
Mais est-ce strictement une affaire de langue ? Etait-ce un certain niveau
de l'occitan que Delteil désignait sous le vocable affectif et affectueux de
patois ? Ou n'était-ce pas la langue des simples, des êtres d'une autre
société.Celle de la terre et du vent, de l'herbe et des oiseaux, une langue
essentielle, françoisière, dont il voulait qu'elle fût héritée et non créée,
consubstantielle, et ainsi sacralisée comme il convient face à la langue de
l'ailleurs.
D.Horsiangou©2002
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