Résumé succinct de la thèse
Joseph Delteil et l'Epopée
De Jeanne d'Arc au Vert Galant (1925-1931)
L'étude des textes épiques de Joseph Delteil que nous avons menée porte sur un corpus qui ne couvre pas toute la production qui s'inscrit de fait dans ce genre poétique et noble par excellence mais sur les œuvres que l'écrivain fait paraître au cours de sa saison parisienne, et plus précisément encore celles qu'il publie entre 1925 et 1931. La définition de cet ensemble cohérent tient aux personnages historiques choisis mais aussi au traitement spécifique dont leurs prouesses et leur tragique destin font l'objet. Ainsi, Jeanne d'Arc, Le Vert Galant, La Fayette, Napoléon ( Il était une fois Napoléon) et Les Poilus participent d'un même état d'esprit et l'écriture qui nous les chante également. Notre double observation liminaire est donc qu'ils sont personnages d'épopée, que la biographie que Delteil leur consacre est, comme il le revendique, " passionnée" mais que les traitements historiques et poétiques excluent l'emprisonnement du narrateur dans le strict respect d'une orthodoxie de la représentation. En outre , la question de l'épique et de sa légitimité au XXème siècle se pose dans toute son acuité : peut-on créer des épopées, sur quels sujets? Il s'avère que les conditions de possibilité d'existence de l'épopée sont diverses , ne sauraient être toujours favorables . La substitution même de la notion d'épique à celle, strictement générique d'épopée en est la manifestation la plus claire. L'œuvre de Delteil fournit aussi sa réponse à cette question par la mise en scène qu'elle offre d'une polyphonie générique imputable d'abord au contexte artistique de l'époque. Surréaliste dans ses premières années parisiennes, exclu du groupe au moment où le premier texte de notre corpus paraît, Joseph Delteil n'en reste pas moins attaché à un décloisonnement des genres , à une liberté de création et d'hybridation des formes. Cette polyphonie générique s'inscrit aussi dans un désir de varier les pratiques d'écriture et les points de vue. Pour toutes ses raisons, la démarche que nous avons adoptée s'est voulue multiforme . Dans une première partie, nous avons privilégié la composition des épopées en jouant sur la polysémie du terme : conception et genèse des textes d'une part, orchestration d'un ensemble cohérent dans son agencement interne et temporel d'autre part. Tout commence donc par une étude génétique , menée à partir d'un dossier inédit, exploré pour la première fois. Cette étude révèle ce que le texte définitif arbore et cache tout à la fois : la pratique du collage , la multiplicité des sources( historiques, littéraires, journalistiques), l'interprétation d'une vie épique et les axes qu'elle s'efforce de suivre, sous la plume de l'écrivain. Le travail mené a consisté ici et tout au long de l'étude à confronter aussi deux approches: celle qui relèverait du généticien et celle qui situe la lecture, non dans ses prémisses et coulisses, mais dans le cadre de l'esthétique de la réception. L'épopée elle-même programme une lecture pathétique: il ne saurait être question de refuser ce qui constitue l'un des fondements majeurs de l'œuvre. Outre cela la composition , une fois orchestrée, révèle sa cohérence. La seconde moitié de notre première partie s'attache ainsi à une analyse minutieuse des titres et de leurs factures diverses. Ces miroirs des œuvres invitent à une lecture métaphorique des textes. Ils témoignent aussi de la conception ludique , parodique et autoparodique que Delteil a de son œuvre. Ainsi, l'étude des cadres temporels et spatiaux dans lesquels l'action s'établit révèle des parentés- avec l'écriture de la fin du XIXème siècle. Elle trahit la dette, parfaitement assumée et revendiquée qui lie Delteil à Léon Bloy, J. K. Huysmans notamment. La mise à nu du travail sur la chronologie, sur les anachronies convainc enfin des liens intimes entre épopée et mythe. C'est toute une vision de l'histoire qui prend corps dans le texte épique. Or, au cœur de cette histoire triomphe le- ou les- héros. Ce continent d'étude est aussi le cœur de notre travail. Le héros delteillien a ceci de particulier qu'il est un être qui chevauche les catégories . Sa nature entière est paradoxale puisqu'il est enfant et géant, habité par le Rêve et homme d'action. Néanmoins des principes dynamiques apparaissent en grande clarté: son corps et son âme vont l'amble et toute rupture de cette harmonie sonne le glas de ses prouesses. Son existence est rythmée par ses appétits, corporels et spirituels, comme elle est scandée par une succession limpide d'avertissements, coups de semonce ,négligés ou ignorés du héros. Ainsi, sa nature protéiforme le constitue en être universel, tout comme cette androgynie si souvent célébrée dans les textes de Delteil… C'est à partir de ces données que l'image du guerrier et chef de guerre peut et doit être brossée. L'épopée tire là encore du côté du mythe : enfances du héros que l'on suit précisément et dont la fantaisie rend plus évidente encore la nature exceptionnelle du personnage . On voit le héros en symbiose avec le cosmos, doué d'une force prodigieuse pour terrasser, même en rêve, des monstres effroyables. L'individualisme du héros , son refus de l'ordre font l'objet d'une analyse également. Ainsi, c'est toute une idéologie dont le héros est porteur: l'œuvre de Delteil s'apparente parfois à un ouvrage moral, politique ou philosophique : cette tentation de l'idéologie qui affleure dans les textes conclut cette partie centrale de notre thèse. La dernière partie se consacre exclusivement aux questions de narration et lecture. Elle débute par une présentation de la polyphonie énonciative qui constitue, à nos yeux, le point central de la modernité de cet auteur . Elle tâche de mettre à jour les processus de succession des voix narratives présentes, leur spécificité ainsi que leur possible confusion ou fusion. Cette analyse réaffirme l'omniprésence du conteur épique mais aussi la multiplicité de ses interventions. Elle invite à observer que le champ épique ne se contente pas de faire entendre une seule voix, même sur un plan idéologique, celui de la lecture de l'histoire, mais qu'il varie à l'extrême les points de vue. Elle conduit ensuite à observer comment le champ autobiographique, à partir de là, se fond au champ épique et comment de multiples substitutions sont ainsi rendues possibles. L'immersion de l'autobiographie est un élément très original dans l'œuvre et il rejoint la définition de l'éthos du conteur épique. L'essentiel des effets de cette polyphonie tient à la création verbale qui la caractérise et aux relations tripartites engagées dans cette écriture : personnages, narrateur , lecteur sont ici également représentés dans le texte et finalement invités à s'échanger leurs rôles ou à se fondre. C'est pour cette raison que notre étude s'achève sur la présentation des relations complexes entre narrateur et lecteur, présentation que nous avons construite à partir des textes- métatextes par exemple, essais- dans lesquels Delteil expose son sentiment en la matière. L'ensemble nous permet finalement de dégager une définition de la poétique de cet écrivain et des métaphores qui, sous sa plume, désignent la création littéraire et poétique…