Jeanne d'Arc de Joseph Delteil
L' écriture de Joseph Delteil, dans sa Jeanne d'Arc comme dans d'autres épopées, Jésus
II ou François d'Assise par exemple, invite à la transposition théâtrale. Récemment,
Emmanuel Billy et sa troupe, la Compagnie de l'Escouade, ont cédé à la tentation en proposant,dans
un cadre sur mesure la Chapelle Saint-Louis à Rouen, une représentation des aventures de Jeanne.
Ils nous invitent à retrouver l'héroïne non dans un dialogue amébée entre le narrateur
et son personnage comme l'avait somptueusement fait Viviane Théophilidès( Une fille à brûler
, Avignon et Paris, 1980) mais au milieu de ses amis, "copines du ciel" ou compagnons d'armes, de ses
troupes et de ses ennemis, dans le silence, le bruit et la fureur.
Sur la scène, un arsenal de tours transformables, escabeaux à roulettes, sortes d'arcs-en-ciel en
ferraille qui relient ciel et terre, créent l'espace épique, tantôt intime, tantôt ouvert
à quatre vents. Les tours sont prises d'assaut, conquises par Jeanne et ses soldats. On les déplace
aussi aisément que des montagnes, chose naturelle à qui ne redoute rien. On les gravit pour remporter
la victoire, atteindre le sublime dans un élan qui rappelle la dimension religieuse de l'épopée.
Le mouvement règle toute la mise en scène du spectacle qui se veut ludique car le jeu et le rire
sont le propre de l'homme-et de la femme- delteillien. On retrouve les enfantillages du narrateur : naissance de
Jeanne "sous un chou qui était un chêne", émerveillement des hommes, tout invite
le spectateur à une naïveté complice. Ce que le style de Delteil a d'excessif, de cocasse, de
dadaïste, éclate dans les envolées verbales et corporelles des comédiens. La troupe entière
-dix acteurs au total- accompagne Jeanne de Domrémy à Rouen, en passant par Orléans et Reims.
De blanc vêtus, les comédiens virevoltent beaucoup mais savent aussi, grâce aux jeux de lumière,
laisser place aux intermèdes musicaux d'un accordéoniste haut perché qui se fait conteur,
à ses heures. Si Delteil en effet ne se prétendait pas musicien, son texte, quant à lui, est
musical et le passage des mots aux notes scande la représentation. Le spectateur peut toutefois être
surpris par l' hétérogénéité des morceaux joués. C'est ainsi que la Compagnie
de l'Escouade rend manifestes le lyrisme de l'épopée et sa violence : la cacophonie succède
souvent à la mélodie.
Le parti-pris adopté n'est donc pas celui d'une reconstitution en costumes et en décors d'époque
mais d'une recréation collective, excessive et passionnée. La tristesse est peut-être moins
bien rendue que la joie et l'enthousiasme héroïque. Toutefois la Pucelle échappe à "la
dessication du Temps" - la mise en scène souligne la modernité du style et du personnage- et
aux récupérations partisanes pour appartenir à tous. A l'instar du narrateur qui n'abandonne
jamais son héroïne, qui l'étreint au fil des pages, la troupe théâtrale, militaire,
humaine et sainte, ne cesse d' entourer et d'exalter la petite Jehanne de France, non loin de la place du Vieux-Marché
où, le 30 mai 1431,
" Du haut du bûcher, (elle) considérait le spectacle de cette foule et de cette ville. C'était
un de ces moments de pathétique silence qui précèdent les grands cataclysmes, un de ces silences
lourds de mort."