ETUDE
STYLISTIQUE
©éditions Ellipses/éditions marketing S.A., 1999
Enjeu littéraire:
Texte qui appartient au genre démonstratif (dit
aussi épidictique) éloge enthousiaste de Jeanne; particularité : éloge qui mêle
un vocabulaire scientifique donc connoté de matérialisme et un vocabulaire religieux; ce mélange
se fait dans l’allégresse d’un lyrisme familier, presque naïf et empreint d’enfance.
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Isotopies essentielles:
Isotopies de l’enfance (n’est-ce pas aussi le thème
du texte: l’enfance de Jeanne ?), du miracle (l’homme à la fois matière et
esprit), du messianisme.
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Structure et progression du texte
De type lyrique et argumentatif: du côté du
lyrisme, on voit la progression se faire par les apostrophes et exclamations rhétoriques et par les figures
de répétition (hypozeuxe et anaphores) à l’intérieur des trois parties; du côté
des connecteurs argumentatifs et de leurs «succédanés »,
on note le or
de la ligne 12, le pour
moi de la ligne 14 et les chiasmes.
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Indications
de mise en forme
Introduction
Ce texte est tiré du début de la Jean ne d’Arc de J.
Delteil, «biographie passionnée»
selon ses termes, qu’il publia en 1925. Le texte déroute tout d’abord par le mélange
de registres (ou vocabulaires) très
différents, le tout lié dans un lyrisme débordant. Ce mélange est mis au service de
l’éclosion d’une isotopie du miracle du genre humain, dont Jeanne devient l’emblème sublimé,
à la fois matière et esprit. Mais la naissance de Jeanne est miraculeuse, parce qu’elle est celle
qui porte à la lumière ce mystère de l’homme. En cela, elle renouvelle le message messianique:
en effet, sans que jamais le nom du Christ ou de Dieu soit prononcé, on détecte bien une isotopie du messianisme.
1-
Mélange de registres
1. Langue poétique
— Quelques
lexies de la langue poétique: nébuleuse,
éther, incarnadine, éclosion.
Traits du lyrisme familier (allant jusqu’à l’hypocorisme):
diminutifs associés à des figures dérivatives et à des archaïsmes : corps encore corselet
(corselet est un mot datant du XIIe siècle,
diminutif de corps,
qui désigne d’abord une cuirasse
légère, puis un vêtement féminin qui serre la taille et se lace sur le corsage; ici
le mot est utilisé avec sa valeur étymologique); incarnadine:
diminutif de incarnat,
couleur de chair; incarnadin
signifie /incarnat pâle! ; mot
d’origine italienne, il a le même étymon latin que chair,
avec lequel il forme une figure dérivative;
enfantelette
diminutif et archaïsme. Le lyrisme
familier s’exprime aussi par une isotopie du petit, du mignon (petite,
rose, doux, source, enfant, éclosion, bébé, berceau, les
diminutifs...).
-
Métaphore hyperbolisante et euphorique
fleur de
son péché (métaphore
in praesentia, dont le Ca antéposé est enfant).
-
Ordre des mots: antéposition d’adjectifs
habituellement postposés, qui prennent ainsi tme valeur non classifiante, moins descriptive, et plus morale:
la légère
matière, impondérable substance, les molles veines, ta naturelle enfance, ta surnaturelle grandeur.
-
Apostrophes rhétoriques.
2.
Langue scientifique
—
Vocabulaire de la physique nébuleuse, matière
(avec un m
minuscule), éther,
masse d’hydrogène, condensation, grammes, impondérable (figure
étymologique), structure,
noyau.
—
Vocabulaire de la physiologie : glaires, plasma, veines,
chair, corps.
3.
Langue philosophique
De nombreux noms communs sont affectés d’une majuscule
qui leur donne comme référent une entité unique et essentielle, d’ordre philosophique Substance, Siècles,
grand Tout, Esprit et Matière, Assimilation, Vie, Enfant. Les
deux derniers cas sont de plus utilisés en syllepse de sens et en antonomase : la Vie, c’est le principe
vital, mais c’est aussi une antonomase pour dire la «divinité» ;
de même, l’Enfant, c’est à la
fois l’archétype de tout enfant et une antonomase pour «Jésus ».
D’autres mots ou combinaisons syntagmatiques sont à
relever déjà
chair et encore éther, immortalité, créature, âme, éternelle, essentiel, de l’âme
et du corps, etc.
La spécificité du texte tient à la
manière dont J. Delteil
fait se croiser ces registres a priori très hétérogènes: certains mots appartiennent
à plusieurs vocabulaires (nébuleuse,
matière, enfant...). Les phénomènes
de caractérisation croisent ces différents vocabulaires : ainsi, l’antéposition poétisante
des adjectifs joue particulièrement sur des substantifs appartenant à la langue scientifique ou philosophique
(impondérable
Substance) ; de
même, les phénomènes de caractérisation non pertinente (alliances de mots: ivre de condensation, amas
de vie; hypallages : doux
grammes de plasma, âme sanguinolente et déjà femme éternelle).
Le texte est le lieu de rencontres langagières inattendues,
de miracles langagiers.
Il- L’isotopie du miracle: l’homme à la fois matière
et esprit
1.
lsotopie de l’instabilité, de l’intermédiaire,
du passage:
—
Isotopie de l’intermédiaire: par l’utilisation
de encore
et déjà
e n cooccurrence1
soit en parallélisme, soit en
chiasme (1. 1, 6, 8, 9); par le sémantisme de départagée,
entre, Assimilation.
—
Isotopie du surgissement, de la naissance:
venue du
fond, émanées, source, éclosion, agrandissement, berceau;
cette isotopie passe aussi par la forme de la
phrase, nominale et exclamative, frappée au coin
de la spontanéité de l’émotion et de l’enthousiasme, et par le type de progression du texte,
entre répétition et variation, grâce en particulier aux figures dérivatives qui font
surgir un mot d’un autre mot.
2.
Isotopie de la fusion
—
Alliances de mots concrets/abstraits: impondérable substance
(syllepse de sens concret/abstrait sur
impondérable
— qu’on
ne peut peser; qu on ne peut prévoir —
et sur Substance
— à
la fois ce qui est permanent (vs
accident) et ce qui existe par soi-même,
le terme servant alors à désigner le principe divin -),
structure
venue du fond des Siècles (métonymie
abstraite pour le concret), signe
de son immortalité (le mot signe a un référent concret, le mot immortalité a un référent abstrait), accessible de toutes parts
(concret) à l’Assimilation
(abstrait), etc.
—
Personnification: masse
d’hydrogène ivre de condensation.
—
Typifications abstraites grâce aux majuscules
sur des noms communs, grâce à des emplois emphatiques de l’article défini (c’est
par excellence l’Enfant) et en même
temps concrétisation du générique par l’emploi du partitif (c’est
de l’humain à l’état pur).
III- L‘isotopie messianique
1.
Jeanne, un nouveau Messie?
Pour Delteil, le destin exceptionnel de Jeanne est l’emblème
de la particularité essentielle de l’homme, à la fois matière et esprit : Jeanne en est le
type même, mais sublimé.
—
Isotopie de l’humanité (comme le Christ
fils de l’homme, Jeanne est fille de l’homme) : enfant
d’homme, l’Enfant, racines de l’homme, naturelle enfance.
—
Isotopie de la rédemption : fleur de son péché,
signe de son immortalité, femme éternelle, surnaturelle grandeur.
—
Isotopie de l’amour (la charité vertu
chrétienne): tout le vocabulaire hypocoristique.
—
Isotopie de la ferveur:
—
dans l’expression lyrique, avec les apostrophes
oratoires, l’approbation oui
qui ouvre le second paragraphe, l’exclamation
familière hé
quoi qui ouvre le troisième paragraphe
et l’utilisation de la première personne pour
moi pour débuter le dernier paragraphe;
—
dans l’isotopie euphorique qui apparaît
avec toutes les expressions du haut degré.
2.
Une éloquence démonstrative
(ou épidictique)
Ce texte lyrique est aussi le texte d’une éloquence
militante: il s’agit de convertir le lecteur au messianisme de Jeanne, et donc d’en faire le panégyrique;
mais ce panégyrique reste empreint d’humour et de tendresse:
les isotopies de la grandeur et de la petitesse traversent
l’ensemble du texte (faire le relevé lexical de ces deux isotopies est très facile), et sont constamment
mêlées non pas dans un rapport d’antithèse
mais dans une relation de paradoxe
(rappelons que l’antithèse et le
paradoxe sont les deux grandes figures macrostructurales d’opposition) dont le point d’orgue peut être trouvé
dans la dernière phrase (opposition entre naturelle
et surnaturelle,
entre enfance
et grandeur,
polysyndète le
sens et la base et la raison).
Conclusion
C’est un texte dans lequel le lexique est extrêmement
travaillé et recherché. Travaillé, dans sa disposition qui ménage sans cesse des rencontres
étonnantes entre des registres spécialisés ou entre concret et abstrait. Recherché,
car nombre de ces mots sont savants, ou bien utilisés dans leur sens premier, voire étymologique,
bref de façon archaïsante. Or, malgré cette complexité lexicale, l’auteur sait donner
une tonalité très vivante, empreinte d’un lyrisme paradoxalement familier à un passage dont
l’enjeu est en réalité démonstratif:
donner un sens nouveau et exemplaire au destin de Jeanne
d’Arc. La littérarité singulière du texte est donc construite par une recherche lexicale qui
croise des déterminations génériques différentes.