Delteil (Joseph),1894-1978, une figure originale et anticonformiste de la littérature française  
   

 


Audois d'origine, cet écrivain est entré en littérature avec deux recueils poétiques, Le Coeur grec (1919) et Le Cygne androgyne (1921). Ses racines paysannes et occitanes en font un personnage à part à Paris où il s'installe en 1920. Parallèlement à son travail de fonctionnaire, il lit , écrit beaucoup et très vite se lie d'amitié avec des poètes tels Max Jacob et les surréalistes. Il faut la publication de sa Jeanne d'Arc (1925) pour que sonne le glas de sa participation au mouvement d'André Breton et de Louis Aragon qui avaient pourtant encensé ses premiers textes narratifs, Sur le Fleuve Amour et Choléra . 1931, année au cours de laquelle l'écrivain tombe gravement malade, marque une rupture avec la vie parisienne. Par la suite, Delteil décide de s'installer dans le Sud et à partir de 1937, à la Tuilerie de Massane, près de Montpellier, où il mène jusqu'à sa mort une vie de paysan-écrivain, en compagnie de sa femme, Caroline Dudley, qui fut la créatrice de la célèbre Revue Nègre. Son oeuvre qui compte une quarantaine de livres lui octroie une place originale et anticonformiste dans la littérature française contemporaine, tant par sa façon de ranimer de grandes figures historiques que par son écriture qui mêle lyrisme épique, réalisme et fantaisie.

vient de paraître


 

CHRONOLOGIQUE

(agrémentée de quelques illustrations choisies)

d'après R.Briatte, Joseph Delteil, Qui êtes-vous?, La Manufacture.

biographie revue et augmentée, septembre 2011, reproduction interdite.


Buste de (Saint?)Delteil, 1927, photo B.L. collection particulière. Ce buste est celui de Dalma, photographié dans l'ouvrage De J.-J. Rousseau à Mistral.

 

1894.

Le 20 avril, à cinq heures du matin, naissance de Joseph Delteil à Villar­en­Val (Aude). Ses parents sont originaires des environs de Montségur, haut lieu ariégeois du catharisme. Jean­Baptiste Delteil, son père, est bûcheron charbonnier et va de forêt en forêt : " Il ne rentrait presque jamais le soir à la maison; en plein bois, il avait installé une hutte de branchages et de bruyères où parfois nous passions quelques jours. " Sa mère, née Madeleine Sarda, n'apprendra jamais à lire et ne prendra par conséquent jamais connaissance d'aucun des livres de son fils : " Pas même le titre; et aujourd'hui encore, je ne sais pas si je dois dire " Dieu merci " ou bien " tant pis " (cité par J.­M. Drot dans Vive Joseph Delteil). Le 29 avril, Joseph est baptisé à Villar­en­Val.

1896.

Naissance de sa soeur Marie, le 5 février.

1898.

Le 1er novembre, la famille s'installe à Pieusse - un village à quatre kilomètres de Limoux (Aude) - où M. Delteil a acheté une vigne et une maison, et dont Joseph fréquentera l'école primaire.

1906.

Le 27 mai, première communion à Pieusse.

1907.

Le 10 juillet, certificat d'études primaires. Cette année­là, le Midi connaît une grande crise viticole. Joseph accompagne de son père quand celui­ci se rend à Carcassonne pour participer aux manifestations des viticulteurs en colère. En septembre, entrée en classe de sixième à l'école Saint­Louis de Limoux

1908.

Classe de cinquième à Saint­Louis. Il est prix d'excellence.

1909.

Il entre directement en troisième au collège Saint Stanislas, école religieuse qui fait office de petit séminaire à Carcassonne. A cette époque, Mme Delteil caresse sans doute le secret espoir de voir son fils devenir prêtre. Peut-être s'imagine­t­elle déjà dirigeant le presbytère administré par le curé Delteil. A Saint­Stanislas, Joseph a un surnom : " l'enfant de Marie "

1910.

Il semble pourtant que les espoirs de Mme Delteil doivent être déçus : Joseph, rebuté par le catholicisme traditionnel adhère cette année­là au mouvement Le Sillon, animé par Marc Sangnier, mouvement qui s'adressait en priorité aux " jeunes gens " , issus en majorité des milieux ouvriers, et qui se proposait " d'amener les catholiques à la démocratie " , prônant l'ìéducation populaire " (catholicité, fraternité, responsabilité"), ouvrant des universités et " instituts populaires " , des centres de conférences, des cercles ouvriers. L'ambition suprême du mouvement : " bâtir des cathédrales de démocratie " Delteil adhère au Sillon et livre ses tout premiers articles à la publication locale, Le Soc, l'année même où le pape condamne les doctrines de l'organisation, sous la pression des monarchistes de l'Action française soutenus par le cardinal de Cabrières.

1912.

Il songe à fonder un nouvel ordre de chevalerie, les Pur­Sang, " pour le plaisir " Projet qui ne connaîtra pas de suite. Durant ses années de collège, ses " admirations littéraires " sont Barrès, Bazin, Loti, Hugo (qu'il appelle " Victor " , tout simplement). Un peu plus tard, il découvre Henri de Régnier, Huysmans et enfin Rimbaud. En juin, première partie du baccalauréat (latin­grec).

1913.

En juin toujours, seconde partie du baccalauréat (philosophie). Il commence à écrire des vers. Son diplôme de bachelier lui est remis le 8 octobre. Il devient clerc de notaire à Limoux, chez Me Auzouy, jusqu'au printemps de l'année suivante.

1914.

Il publie en début d'année un sonnet - en langue d'oc - dans l'Almanac patouès de l'Arièjo. En mars, conseil de révision. Le 6 septembre, Delteil est mobilisé et affecté au 4e colonial de Toulon. Son régiment fusionne bientôt avec celui des tirailleurs sénégalais stationné dans le Var, à Saint­Raphaël, où il restera pendant pratiquement toute la durée de la guerre.

1918.

Le 15 septembre, Adolphe Brisson publie, dans le n° 1838 de sa revue Les Annales, deux poèmes de Joseph Delteil, qui a pris pour l'occasion le pseudonyme de " Louis XV "

1919.

En août, les éditions de la revue Les Tablettes publient à Saint­Raphaël son premier recueil de poèmes, Le Coeur grec, tiré à trois cents exemplaires, avec une préface d'Hélène Vacaresco, par ailleurs collaboratrice des Annales. Le 7 septembre, il est démobilisé. Retour à Pieusse le 8 octobre pour un mois. Il est employé à partir du 10 novembre au bureau des contributions indirectes de Fraize, un village près de Saint­Dié, dans les Vosges.

Delteil 1919

1920.

Le 21 juillet, l'Académie française lui attribue le prix Archon d'Espérouze pour Le Coeur grec. Mais le vrai événement a été en fait, le 20 janvier, son départ pour Paris, où il s'est installé à l'hôtel de Verneuil, sis au n° 29 de la rue du même nom. Il changera incessamment d'adresse pendant plusieurs années, allant de pension en pension, selon les moyens dont il dispose. D'avril à octobre, il est employé au Comptoir d'escompte de Paris. Il collabore aux Annales et à une revue de poésie, Pour le plaisir, dirigée par René Groos. Le 10 octobre, il entre en qualité de rédacteur au ministère de la Marine marchande où il restera jusqu'au 31 décembre 1923. Il y fait la connaissance d'Elie Richard, un collègue de bureau, qui édite une revue, Les Images de Paris. Il y publie des poèmes dès le mois de décembre. A la fin de l'année, il quitte le quartier de Saint­Germain­des­Prés et l'hôtel de Cronstadt, rue Jacob, pour l'hôtel Kensington, avenue de la Bourdonnais.

Delteil 1920 en complet veston

1921.

Il présente ses nouveaux poèmes, presque tous les dimanches, à son maître en poésie, Henri de Régnier. Ces visites dominicales cesseront après 1922, mais le maître gardera toujours une bienveillance guindée vis­à­vis de son disciple. C'est à Henri de Régnier que Delteil dédie Le Cygne androgyne, publié par Elie Richard, à cent exemplaires. Pendant l'année 1920, il a écrit un troisième recueil de poèmes, Les Roses adultères, qui restera inédit. Il en envoie trois pièces : " Figure sexuelle " , " Le Sacrifice à l'aube " , " Le Site " à Paul Valéry qui les lui renverra, annotées et corrigées, en avril. En juin, il donne aux Images de Paris un premier conte intitulé Elyud. Il se consacre désormais aux nouvelles, aux critiques et aux chroniques : il publiera peu de poèmes par la suite. Elie Richard le présente à tous ses amis : Philippe Soupault, André Salmon, Raymond Thiollière, Antral... et Pierre Mac Orlan.

1922.

En avril, il s'installe à l'hôtel de Turenne, avenue de Tourville. En septembre, la N.R.F. publie Iphigénie; Claudel écrit à Jacques Rivière, le menaçant de rompre son abonnement si la N.R.F. publiait autre chose de ce " fouille­merde " A la fin de l'année paraît le premier roman de Delteil, Sur le fleuve Amour, dans une collection que dirige Mac Orlan aux éditions de la Renaissance du livre. Succès immédiat.

1923.

Il déménage à l'hôtel du Centre, rue des Bernardins, en avril. Aragon veut le rencontrer pour le présenter aux surréalistes : Delteil devient le poulain de Breton, face à Radiguet dont Cocteau célèbre Le Diable au corps. Soupault l'amène chez les Delaunay, 19 boulevard Malesherbes : c'est le début d'une longue amitié avec les deux peintres. Il sympathise avec Robert Desnos, André Lhote, Jules Supervielle, Valéry Larbaud. Il adhère en novembre à la Société des gens de lettres et publie ce même mois Choléra aux éditions Kra, dans une collection dirigée par Philippe Soupault. Le 31 décembre, il quitte son emploi au ministère et devient écrivain à part entière.

1924.

Le 24 mars, soirée de charité à l'hôtel Claridge, présidée par le maréchal Foch : Delteil illustre d'un poème " La Mode qui vient " , les modèles créés par Sonia Delaunay. Dans le premier Manifeste du surréalisme, il figure parmi ceux qui ont fait " acte de surréalisme absolu " A cette époque, il participe régulièrement aux séances d'écriture automatique organisées par André Breton, rue Fontaine. En juin, il signe, avec tous les autres surréalistes, I'" " publié par Breton dans Paris­Journal. On le retrouve dans le photomontage Les Surréalistes entourant Germaine Breton. Il collabore également à l'éphémère Surréalisme, lancé en octobre par Yvan Goll. Ce même mois d'octobre 1924, ayant signé un contrat avantageux avec Bernard Grasset, il publie chez ce dernier Les Cinq Sens, encensé par les surréalistes. Il signe l'un des quatre textes d' Un Cadavre, pamphlet contre Anatole France. Il annonce pour un proche avenir la publication d'une Vie de Jeanne d' Arc (une " biographie passionnée " ), une Vie de la Vierge (un " mystère " , à tous égards), Bébé­Cadum (un " roman­feuilleton " ) et une autobiographie, modestement intitulée Moi. En 1923 et 1924, il aura collaboré à une vingtaine de revues, dont la N.R.F., La Revue européenne, Littérature, Les Feuilles libres, La Révolution surréaliste, L'Intransigeant, Paris­Journal. Le 12 décembre 1924, il s'installe dans son propre appartement, sis au numéro 17, boulevard de la Chapelle, à côté du métro aérien. Cet appartement, le n° 15 dans l'immeuble, quatrième étage au fond du couloir, il va le louer sans interruption jusqu'en 1930. Néanmoins, à partir du 1er janvier 1924, date à laquelle il s'est libéré de toute obligation en renonçant à son emploi de fonctionnaire, il partagera son temps entre Paris et Pieusse.

1925.

Il rencontre Marc Chagall. Il va voir - plusieurs fois de suite - la Revue Nègre, qui fait alors courir le Tout­Paris. Le 7 avril, André Breton lui écrit une lettre- violente - de rupture; cette exclusion du groupe surréaliste est surtout motivée - entre autres raisons - par la parution prochaine de Jeanne d'Arc. Dès le mois de juin, cette " épopée " va connaître un succès phénoménal en librairie, lié au scandale qui éclate bientôt, et va rebondir lorsque, ayant obtenu des voix au Goncourt, le livre remporte le prix Fémina­Vie heureuse, en novembre (à vrai dire, dans une version expurgée). Jacques Maritain, Maurice Denis, l'empereur Hirohito lui­même, la défendent. Claudel qualifie Delteil d'" écrivain tout à fait étonnant " A partir de cette année 1925, il essaie de " planifier " sa carrière littéraire et annonce une Vie d' Adam, une Vie d'Eve, une Vie de Napoléon, une Histoire de la Révolution français, une Histoire générale de la femme, d'Eve à nos jours, trois romans : La Nature, La Vie, Le Soleil, et une tragédie : Le Grand Frisson ou l'Allemagne en feu.

1926.

Il publie aux éditions des Cahiers libres le Discours aux oiseaux par saint François d'Assise, dès le mois de janvier. Suit une nouvelle " épopée " : Les Poilus. Il compte alors se mettre à une Apologie du Moyen Age, mais s'arrêtera au seul titre de l'essai. Il publie Mes amours... (... spirituelles), recueil de contes, de chroniques et de poèmes, déjà publiés dans divers périodiques. Jean Guiraud, rédacteur en chef de La Croix, poursuit de sa vindicte la Jeanne d'Arc dans un pamphlet intitulé De la critique en face d'un mauvais livre. En octobre paraît Allo! Paris! avec vingt lithographies par Robert Delaunay (aujourd'hui la plus grande rareté bibliophilique). Du 20 décembre 1926 au 5 janvier 1927, il se consacre à l'écriture d'une " continuité cinématographique et filmée " pour la Jeanne d'Arc de Carl Dreyer. Les deux hommes, mis en présence, ne se sont pas entendus. Delteil travaille seul et Dreyer se référera très peu à ce texte lors du tournage. Lors d'un de ses fréquents séjours dans le Midi, il rend visite, en compagnie de Jean Girou et de Carlos de Lazerme, au sculpteur Aristide Maillol, installé à Banyuls.

1927.

photomaton 1927

Delteil se trouve cette année­là plus souvent à Pieusse qu'à Paris. Il publie Perpignan en janvier, Ode à Limoux en février, " Essai d'un programme pour une organisation du Midi " dans la revue Les Feuillets occitans en juillet. C'est Magali de Séverac (la fille du compositeur Déodat de Séverac) qui semble tant l'attirer vers son Midi natal en cet été 1927. Jacques Maritain, Gaétan Bernoville et Victor Bucaille répondent - mollement - au pamphlet de Jean Guiraud dans une brochure intitulée D'une mauvaise critique, éditée à compte d'auteur(s). La Jonque de porcelaine sort chez Grasset dans l'indifférence générale, semble­t­il. A l'automne, périple audois avec Chagall, Delaunay et Jean Girou, un auteur de la région de Carcassonne. Chagall s'installe quelques jours près de Limoux, sur la route de Chalabre, dans une villa où il peint ses illustrations des Fables de La Fontaine. Pendant ce temps, Delteil et Delaunay sillonnent joyeusement les routes de la région dans l'Oberland du peintre. Ils en profitent pour rendre ensemble visite à Maillol avant de rentrer à Paris. En décembre paraît La Passion de Jeanne d'Arc, " née d'un voyage de la Littérature au pays du Cinéma "

1928.

En mai, il publie Le Mal de coeur; en juin, La Fayette et De Jean­Jacques Rousseau à Mistral (pour écrire cet essai, précédé d'une étude de René Groos, Delteil s'est enfermé de longues semaines en début d'année dans une chambre de l'auberge Saint­Pierre à Dampierre- en­Yvelines, près de Rambouillet). Il rencontre André de Richaud, qui vient de publier Vie de saint Delteil, et lui demande un livre pour la collection " Les Grands Evénements du monde " , que Grasset vient de lui confier : La Création du monde, terminée au cours de la semaine sainte de 1929 et publiée en 1930, sera malheureusement le seul volume de cette collection que de Richaud avait ainsi ironiquement inaugurée. Les deux autres collections confiées à Delteil en cette année 1928 connaîtront le même sort : Louis Mossay renoncera à publier d'autres " Grands Textes " que celui du Gargantua et Delteil lui­même n'éditera rien d'autre que Le Petit Jésus qu'il signe aux éditions du Delta, dont il assuma l'éphémère direction. Il avait de nombreux projets pourtant : Maurice Denis et Marc Chagall, entre autres, avaient donné leur accord pour illustrer les ouvrages suivants. Le 25 octobre, première française de La Passion de Jeanne d'Arc de Carl Dreyer; Delteil est crédité du scénario dans le générique, mais il n'ira jamais voir le film.

1929.

Il publie Il était une fois Napoléon et collabore à Jazz, la revue de Carlo Rim. Pour arrondir des fins de mois rendues difficiles par la fréquentation exagérée des champs de courses et des casinos, il assure la représentation à Paris d'une marque de blanquette de Limoux. En août, il confie à André Lang, journaliste aux Annales : " J'espère ne plus écrire d'ici un an ou deux. Je vais encore faire un Don Juan... Après, j'espère pouvoir m'arrêter : j'ai été créé pour me tourner les pouces, au soleil, sur les plages. " Pendant ce temps, Maryse Choisy termine à Dampierre un essai, Delteil tout nu, dont voici les dernières phrases : " Maintenant, je veux être moi. Delteil est un bouffeur de " moi " Adieu Delteil. " C'est le deuxième ouvrage dithyrambique qui lui est consacré en un peu moins de deux ans.

1930.

Le 13 janvier, il rencontre pour la première fois, au sixième étage du numéro 6, place du Panthéon, celle qui deviendra sa femme, Caroline Dudley, la créatrice de la Revue Nègre. Delteil tout nu paraît en même temps que Les Chats de Paris (qui n'est autre que la reprise, à quelques variantes près, du texte d'Allo! Paris!), aux éditions Montaigne. Il publie également La Belle Corisande et La Belle Aude. A la Bibliothèque nationale, il consulte le dossier de canonisation de Don Juan : il pense appeler son livre Saint Don Juan. Il regrettera - jusqu'à l'édition des Oeuvres complètes - de s'en être tenu, pour finir, à Don Juan. C'est le dernier roman qu'il publie chez Grasset. A Frédéric Lefèvre qui l'interroge pour Les Nouvelles littéraires, il confesse qu'il a voulu plaire et avoue sa lassitude, son désir de changer d'image : " J'ai voulu cacher ma faiblesse sous des airs farauds. J'ai triché en proportion. Cela a fait illusion au­delà de mon espérance. J'arrive sans doute à " l'âge où un peu de vérité, un peu d'humanité font du bien au coeur. Aujourd'hui, ce faux Delteil qui court le monde, cette espèce de grand gaillard dépoitraillé, un mètre quatre­vingt­dix et cent vingt kilos, tonitruant, orgueilleux, " m'as­tu vu " , ce faux Delteil m'horripile. "

En mai, il publie dans la N.R.F. :

" " C'est au peintre Pascin qu'il devait d'avoir rencontré Caroline et il rêvait de lui faire illustrer un de ses livres. Ce " rêve " allait sans doute se concrétiser avec Don Juan pour lequel on prévoyait une édition de luxe. Mais peut­être Pascin s'est­il reconnu dans le portrait de Don Juan, " ce Juif errant de la chair " : le peintre se suicide le 2 juin, trois jours après avoir lu le roman. Fin octobre, Delteil et Caroline Dudley, accompagnés de Sophie, la fille de Caroline, née d'un premier mariage, partent pour Utelle dans les Alpes­Maritimes. Ils y resteront jusqu'en février 1931. Tout au long de l'année 1930, Delteil a continué à assurer la représentation à Paris de la blanquette de Limoux, pour le compte de la marque Génie. Il est associé dans cette affaire de vins à Mme Déodat de Séverac et au musicien Marie­Joseph Canteloube.

A la fin de l'année, il diversifie encore ses activités et déclare à Jean Portail, dans un numéro de Vu qui paraît début 1931 : " En dehors du pinard, je suis directeur général d'une compagnie d'assurances [...]. La littérature est un passe­temps de millionnaire... Je préfère faire du commerce que de la littérature commerciale. "

1931.

André de Richaud publie La Douleur chez Grasset. Le jury du prix du Premier Roman distingue l'ouvrage et s'apprête à le couronner. Pourtant, au dernier moment, les membres du jury (Giraudoux, Estaunié, Maurois, Bernanos, Pourtalès, Green, Lacretelle et Mauriac) ne sont plus d'accord et se divisent : le prix est refusé à de Richaud, pour ne pas mécontenter les lecteurs de la Revue hebdomadaire qui attribuait le prix, mais aussi, disent­ils, " pour préserver la morale " Indigné par cette accusation d'immoralité, Delteil défend le roman et son auteur avec fougue dans la presse aussi bien que dans le milieu littéraire. Fréquents déplacements entre Saint­Cloud, Pieusse et Villefranche­sur­Mer, puis, en mai et juin, voyages à Berlin, à Venise et en Angleterre. Il publie Le Vert Galant et annonce successivement, dans la collection " Les Nuits " chez Flammarion Les Nuits des bêtes et chez Grasset Poil et plume, recueil où il pense rassembler toutes les nouvelles qu'il a écrites sur les animaux. Mais le 15 juillet, il est admis à l'hôpital américain de Neuilly, dans le service du docteur Kindberg : il ne quittera l'établissement que le 4 septembre, ayant perdu pour un bon moment l'usage du poumon droit, suite à un épanchement pleural. Selon toute vraisemblance, Delteil a " fait " une pleurésie tuberculeuse, avec atteinte du parenchyme pulmonaire et importantes séquelles. Affection très fréquente à l'époque, et qui justifiait un repos de deux ou trois ans. Toujours est­il qu'après avoir été fait, le 15 août, chevalier de la Légion d'honneur au titre des arts et des lettres (ce qui ne semble pas avoir notablement amélioré son état), il entame au mois d'octobre à Vence une convalescence qui va se prolonger durant deux longues années. L'hypothèse d'une affection tuberculeuse n'est pas une certitude absolue, les bacilles de Koch n'étant pas les seuls responsables possibles des épanchements pleuraux. Toutefois, la discrétion de Delteil sur ce point aurait été compréhensible : il s'agissait essentiellement d'une maladie de la pauvreté, et les tuberculeux n'en parlaient pas pour ne pas être rejetés par crainte de contagion (en l'absence d'antibiotiques spécifiques en 1931)... De toute façon, bien que déclaré guéri deux ans plus tard, il n'en gardera pas moins une santé extrêmement fragile qui va conditionner le reste de sa vie.

1932.

Convalescence à Vence - hôtel Biffi - jusqu'à la fin du mois de mars, puis à Briançon - villa La Fresnaye - où il passe l'hiver 1932­1933. Au mois de novembre, Jean Paulhan lui écrit : " Je ne savais pas que vous étiez malade." Delteil répond, laconique : " Je suis malade et guéri. "

1933.

Delteil et Caroline quittent Briançon le 5 avril. Ils s'installent villa Capra à Villeneuve­lès­Avignon dans le Gard, face à la cité des papes, jusqu'à la mi­août. Ils passent la première quinzaine de septembre à Pieusse où Delteil n'est pas revenu depuis deux ans, avant de rejoindre Toulon : ils y résideront de manière intermittente jusqu'en mars 1935 aux " Quatre Chemins " à La Collinière. Il publie " La foire à Paris " , un texte d'une vingtaine de pages, dans la revue Les Oeuvres libres. C'est sa première apparition éditoriale depuis le début de sa maladie.

1934.

En avril paraît En robe des champs. Grasset annonce, sur la bande rouge qui entoure l'ouvrage, " le vrai Delteil " Pendant une décennie, Delteil ne publiera rien. Sa décision de quitter Paris et la vie littéraire date vraisemblablement de 1931, l'année du début de sa maladie, mais la parution de ce recueil de " morceaux choisis " marque la vraie fin d'une époque pour lui. Sans doute est­il, de plus, " lâché " par Grasset : la publication d'un tel recueil est une manière assez expéditive d'honorer une fin de contrat. Paulhan lui offre de participer de manière plus régulière à la N.R.F., mais Delteil ne donnera aucune suite à cette invitation. Robert Brasillach écrit dans un de ses Portraits : " En songeant à ces années un peu folles qui suivirent la guerre, nous penserons que M. Delteil en est une des victimes les plus complètes - et l'une de celles, assurément, dont nous devons le plus regretter l'échec " Delteil et sa compagne passent l'été à voyager dans l'arrière­pays niçois d'abord, puis en ltalie (séjour à Santa Margherita Ligure). Retour pour l'hiver à Toulon.

1935.

Première rencontre à Paris avec Henry Miller, grâce à Dorothy Harvey, la deuxième soeur de Caroline, auteur d'une biographie de Theodor Dreiser. La rencontre eut lieu sans doute chez Katherine, l'aînée des soeurs Dudley, qui tenait salon dans son appartement du 13, rue de Seine. Anaïs Nin connaissait les deux hommes et avait établi des contacts entre eux, mais cette première rencontre est certainement due à la seule initiative de Dorothy. Début mai, Delteil envoie une carte postale à Miller qui lui répond aussitôt, le 16 mai, avec enthousiasme. Le 3 juillet, nouvelle lettre passionnée de Miller qui offre de devenir l'agent littéraire (non rémunéré, précise­t­il) de Delteil pour les Etats­Unis.

En juin, Caroline achète une propriété viticole dans le Gard, près du village de Tavel : le domaine de Trinquevedel, surnommé dans la région " le château de Cathelan " , en souvenir du chevalier du même nom qui y fut assassiné. Pendant l'été, le couple voyage à Barcelone, avec le père de Delteil, et en Ecosse. Automne et hiver à Tavel.

1936.

Début janvier, la mère de Caroline - qui vivait avec sa fille depuis la mort de M. Dudley en 1929 - tombe gravement malade. Afin de se rapprocher des médecins, ils louent un appartement au prieuré de Villeneuve­lèsAvignon. Mme Dudley y meurt, quelques jours à peine après leur installation. La page " américaine " de la vie de Caroline est définitivement tournée. Retour à Trinquevedel jusqu'en juillet : ils revendent alors la propriété, ayant jugé que le capital à investir était trop important. Le 24 juillet, ils partent en croisière pour Majorque, d'où les chasse, une semaine après leur arrivée, la situation politique en Espagne. De retour à Villeneuve­lès­Avignon, Delteil se remet à travailler... à une pièce de théâtre. Il en informe Jean Paulhan, qui demande des précisions : " Quel théâtre? Est­ce un drame, une tragi­comédie, une farce? " C'est tout à la fois puisqu'il s'agit de la pièce Le Grand Prix de Paris ou Hippolyte. Décidée à tout faire pour guérir l'homme qu'elle aime de sa passion maladive pour les courses et autres jeux d'argent, sans doute Caroline lui offre­t­elle à cette époque­là une importante somme d'argent à la condition qu'il consente à écrire quelque chose sur le thème du jeu. Elle a en effet consulté des médecins éminents qui se sont déclarés impuissants devant cette emprise du jeu, analogue selon eux à celle que peut exercer l'alcool. L'écriture de la pièce eut­elle un effet curatif sur Delteil? Avait­il fait une promesse solennelle à Caroline? Toujours est­il qu'après avoir écrit Le Grand Prix de Paris ou Hippolyte, il renonça définitivement à sa dispendieuse passion.

1937.

Ils se partagent entre Villeneuve et Montpellier. C'est de cette dernière ville que, basés à l'hôtel Métropole, ils reprennent leurs prospections foncières. Ils sont en quête en effet d'un nouveau domaine où Delteil pourrait enfin revenir à ses origines paysannes. Ils s'installent provisoirement d'abord dans la propriété de Mme Bouscaren, à Gigean (Hérault). L'été venu, ils se réfugient à La Galaube, à trente­cinq kilomètres au nord de Carcassonne, au pied de la Montagne Noire. Située à la frontière des départements de l'Aude et du Tarn, cette forêt de trois mille six cent cinquante hectares, essentiellement peuplée de hêtres et de sapins, deviendra leur lieu de séjour favori pendant les mois de forte chaleur. De retour à Gigean, on leur signale une propriété à vendre aux abords immédiats de Montpellier : la Tuilerie de Massane. En octobre, Caroline, Joseph et sa soeur Marie achètent tous les trois, à parts égales, ce domaine avec ses soixante mille pieds de vigne, qui s'étend le long de la route de Grabels. Toute la famille Delteil - père, mère et soeur - abandonnant son village, vient s'installer à la Tuilerie. La cohabitation entre les Pieussards et celle qu'ils appellent " l'Américaine " va rapidement poser de nombreux problèmes. En août, Henry Miller a offert à Delteil de participer à la revue The Booster (le survolteur), où vont s'illustrer, sous la direction d'Alfred Perlès, outre Miller lui même, évidemment : Lawrence Durrell, William Saroyan, Anaïs Nin, Brassais entre autres... Mais Delteil ne donnera pas suite, là encore, à cette offre de participation à une entreprise littéraire. Les problèmes d'achat de la Tuilerie une fois réglés, il part avec Caroline pour un long voyage en Angleterre et en Ecosse. Le 15 décembre, ils se marient civilement, dans le Surrey.

1938.

Mort de Mme Delteil mère, le 19 août à la Tuilerie.

1939.

Photo de 1939 (dans ses vignes)

Caroline ayant pour projet de monter une pièce de Céline (sans doute L'Eglise) à New York, ils revoient l'écrivain - qu'ils avaient rencontré sept ans auparavant. L'auteur du Voyage au bout de la nuit leur conseille " d'aller tenir un bordel à Changhaï " .. Conseil qu'ils ne suivront pas, en dépit de la sincère admiration que vouait Delteil à Céline. De toute façon, les circonstances décident et Caroline ne pourra mener son projet à terme. De même que Louis Jouvet, qui veut monter Le Grand Prix de Paris ou Hippolyte, mais qui en sera empêché, lui aussi par la déclaration de guerre.

1940.

Mobilisé à Carcassonne, Delteil est réformé au bout d'un mois et revient à la Tuilerie.

1941.

Une amie, Marguerite La Tour, lui fait lire un poème d'un jeune Montpelliérain de quatorze ans, dont il ignore tout, et jusqu'au nom même... Il envoie ce texte à Pierre Seghers, qui va le publier dans Poésie 41. Il n'en rencontrera l'auteur, François Cariès, que trois ans plus tard. Robert Delaunay, malade, arrive à Montpellier avec sa femme Sonia : il y meurt dans la nuit du 24 au 25 octobre, quelques jours seulement après leur installation. Après la mort du peintre, qui avait été l'un de ses " parrains " lorsqu'il était arrivé à Paris dans les années vingt, il a de longues conversations avec Sonia : il lui conseille instamment de recommencer à peindre et se confie à elle. " Delteil n'est pas heureux dans sa vie, écrit­elle le jeudi 30 octobre. Il a besoin d'assises solides et aime la vie qu'il a créée qui pourrait lui permettre par la suite de reprendre son travail littéraire sans dépendance matérielle. Le déséquilibre et le manque de profondeur du tempérament américain lui brisent son effort et l'ont détaché de sa femme. "

1942.

Rencontre de Pierre Soulages, au coin d'une vigne. Le jeune peintre (à qui son beau­père a confié la gestion d'une propriété, afin de lui permettre d'échapper au S.T.O.) et l'écrivain sont voisins : Pierre et Colette Soulages quittent presque chaque soir leur mas de la Valsière pour venir passer un moment à la Tuilerie.

1944.

Le 20 avril, François Cariès, en compagnie de son professeur, Marguerite La Tour, se rend pour la première fois à la Tuilerie. Ce jour­là, Delteil fête son cinquantième anniversaire. Cariès a dix­sept ans. C'est le début d'une longue et orageuse amitié...

En décembre, Delteil mettra le jeune poète en relation avec les Soulages. Publication du recueil A la Belle Etoile chez Flammarion : Delteil a changé d'éditeur. Pendant l'été, voyage en Suisse, à Gstaad, où Caroline a mis en pension sa fille Sophie.

1945.

Il écrit deux préfaces (pour Jeanne d'Arc de Gaston Poulain, et " Au seuil d'un nouveau Moyen Age", pour Sous le masque des sorciers de Marcel Sauvage).

1946.

Le 16 avril, le père de Delteil meurt à la Tuilerie.

1947.

En avril, parution de Jésus II, "écrit en neuf mois" C'est la véritable rentrée de Delteil sur la scène littéraire. L'accueil est plutôt froid. Il monte à Paris pour appuyer la sortie du livre et confie, en mai et en octobre, aux Nouvelles littéraires, deux longs articles où il explique son retour. Début juillet, première visite de Frédéric­Jacques Temple à la Tuilerie.

1948.

Il annonce chez Flammarion une Histoire du règne de Louis XIV, mais ce projet n'aura pas de suite. Caroline amène à la Tuilerie un jeune poète qu'elle a rencontré à Montpellier, Henk Breuker, qui mettra d'ailleurs fréquemment ses autres talents de photographe et de menuisier au service des Delteil et de la Tuilerie Dès le mois d'octobre, Delteil émet l'idée de devenir éditeur, ne serait­ce qu'à une petite échelle. Il suggère à F.­J. Temple de se mettre à chercher dans Montpellier un endroit où se rencontreraient les poètes du cru pour y éditer leurs oeuvres. La Lettre au sujet d'une phrase de Jésus II est éditée à cinquante exemplaires par Pierre­André Benoît.

1950.

En mai, il publie dans Septembre la traduction du néerlandais d'un poème de Reinold Kuipers, " Le paveur de rues " (c'est la seule traduction qu'il ait publiée, avec celle des extraits de Mireille parus en 1930 dans la N. R.F.). En octobre, voyage en Italie : Subiaco, Assise, Florence et Rome, où il entre en contact avec le cardinal Schuster (alors archevêque de Milan) pour tenter de régler la question de son mariage religieux (Caroline étant divorcée et son premier mari étant encore vivant).

1951.

Ouverture le 17 mars de la boutique La Licorne, sise au numéro 15 de la rue Saint­Firmin dans le vieux Montpellier. Impression, les jours suivants, de Silex, premier livre de la jeune maison d'édition, dont les trois auteurs et typographes sont Henk Breuker, François Cariès et Frédéric­Jacques Temple, qui constituent alors le groupe de La Licorne, soutenu par Delteil. A la même époque, il renoue épistolairement avec Henry Miller, en lui envoyant Jésus II. Les deux hommes ne se sont pas écrit pendant presque quinze ans. Il fait un nouveau séjour à l'hôpital dans un service de pneumologie. A la fin du mois de mai, des néo­surréalistes, dont Robert Lagarde et Pierre Torreilles, collent sur la devanture de La Licorne des affiches non signées hostiles à Delteil et au groupe, qui réplique par un pamphlet vengeur, toujours par voie d'affiche. Delteil, lui, s'en amuse beaucoup. L'affaire s'arrête là : on est loin des années vingt. A vrai dire, Delteil a aidé financièrement à acquérir la presse à pédale, une Marinoni, qui trône dans la boutique, mais bien vite, il ne se sent plus concerné par les activités du groupe dont il a pourtant encouragé les débuts.

1952.

Il publie avec Pierre­André Benoît un recueil de poèmes d'Evelyne Floret, Ta part de vivre. C'est le premier titre d'une collection qu'il intitule " Le Premier Cru " Lors d'un passage à Paris, il retrouve André de Richaud qui habite alors rue des Canettes, dans un hôtel que tient Céleste Albaret (alias " Françoise " dans l'oeuvre de Proust).

1953.

Il publie Trois Poèmes de François Cariès, second volume de la collection " Le Premier Cru " Le 12 mai, dans l'après­midi, événement considérable à la Tuilerie de Massane : l'arrivée d'Henry Miller avec sa compagne Eve McClure, et le peintre Bezalel Schatz et sa femme. Au menu du d"ner : poule au riz, préparée par Caroline, heureuse de parler avec des invités américains après tant d'années... Trois jours plus tard, départ pour l'Espagne de toute la troupe, augmentée de la photographe Denise Bellon. Ils sont rejoints à Barcelone par Alfred et Anne Perlès. Retrouvailles émues pour Miller et Perlès qui ne se sont pas revus depuis le printemps 1939. La relation de ce voyage par Miller paraîtra l'année suivante dans la revue belge Synthèses sous le titre Mejores no hay (devenu Reunion in Barcelona lors de sa publication en volume chez Scorpion Press en 1959) : souvenirs d'une fête de tous les instants, de Montpellier à l'Andalousie. Jean Lebrau écrit dans La Dépêche du Midi datée du 30 octobre : " Delteil travaille à un Saint François d' ëAssise. Il a porté plus de trente ans son héros. D'aucun autre de ses héros, il ne peut dire mieux : " François, c'est moi... Les autres étaient les brouillons de François. "

1954.

En août, voyage en Italie, dans la région des lacs. Robert Héral rapporte pour Combat, dans un article intitulé " Un silence inquiétant " , cette phrase de Delteil : " J'ai cessé d'écrire le jour où je me suis aperçu que je ne savais pas. " Boutade sans doute, mais toujours est­il que le Saint François est loin d'être achevé.

1955.

Dominique de Roux désire lui consacrer un numéro spécial de l'Herne et confie la direction de l'ensemble à F.­J. Temple. Mais Delteil écrit à ce dernier : " Caroline me dit que vous songez sérieusement à ce numéro Delteil. J'espère qu'il n'en est rien. Vous savez bien que je suis rétif en principe et pour mille et une raisons. Et votre amitié ne voudra pas passer outre, j'en suis sûr. Si un jour le moment venait, peut­être. Aujourd'hui, ce serait un pas de clerc. " En juin, voyage en Andorre. Sa soeur Marie quitte la Tuilerie, qui sera mise en viager l'année suivante.

1956.

A l'automne, la revue Entretiens de Rodez lui consacre un hommage comportant deux articles signés Miller et Temple et la reprise d'un extrait de Perpignan.

1958.

Début d'une série de sept collaborations (jusqu'en 1961) aux ouvrages collectifs Les Saints de tous les jours édités par Robert Morel et le Club du livre chrétien. Selon toute vraisemblance, il s'est remis à l'époque à travailler sur son François.

1959

. A la mi­juillet, deuxième brève visite des Miller à la Tuilerie, avant de gagner Sommières, où Lawrence Durrell leur a trouvé un appartement à louer pour l'été au moins (Miller compte alors s'installer définitivement dans le Languedoc). Delteil et sa femme partent de leur côté - comme chaque été - à La Galaube.

1960

Le 15 janvier paraît chez Flammarion François d' Assise avec une couverture en couleurs de Pierre­André Benoît. Le 14 février, édition du même ouvrage par Robert Morel pour le Club du livre chrétien. Le mot " paléolithique " fait à cette époque son entrée dans le lexique delteillien. Du début des années soixante, date vraisemblablement l'anecdote suivante : de passage à Paris, Delteil se trouvait à la librairie La Hune. André Breton, qui vient d'y pénétrer, l'aperçoit et lui envoie un intermédiaire afin de renouer le contact rompu trente­cinq années plus tôt. " Monsieur Breton serait très désireux de vous voir " , lui dit­on. Et Delteil de répondre : " Non, je refuse absolument de le rencontrer " ..

1961.

Miller se rend à Assise en mars, à cause du François, mais il est déçu. Le site, trop austère à son goût, lui rappelle Tolède. Et ce n'est pas tout : " Les bazars ici sont un peu comme à Lourdes. C'est­à­dire dégoûtants. " (Lettre du 27 mars, Correspondance privée Miller Delteil, Belfond, 1980.) Le 12 avril, il débarque à Montpellier, via Hambourg, avec son nouvel homme lige, Vincent Birge. Court séjour à Montpellier, puis nouveau départ. Retour à Montpellier en mai, puis encore en juillet, mais à ce moment­là, Delteil est à La Galaube, d'où il présente à son ami une requête des éditions Grasset : pour accompagner la sortie des Oeuvres complètes, prévue en automne, un livre dans le style du Pour saluer Melville de Giono, écrit par Miller sur le compte de Delteil, serait en effet le bienvenu. Miller ne peut évidemment donner suite à cette commande. De cette hagiographie, quelqu'un d'autre pourtant s'acquittera en cette année 1961 : André Lebois, qui publie à Blainville­sur­Mer un livret d'une cinquantaine de pages : Joseph Delteil, l'homme et l'oeuvre. Les Oeuvres complètes, qui ne comportent en fait que le texte - corrigé - de six romans et biographies (sur une trentaine de livres publiés), paraissent à l'automne en un seul volume de sept cents pages. Le livre bénéficie d'une presse importante et, dans l'ensemble, favorable.

1962.

En juin, voyage en Espagne avec Caroline (Santander, Salamanque...). Le numéro de novembre de The Aylesford Review, édité par les soins du père Brocard Sewell (au prieuré d'Aylesford, près de Maidstone, dans le Kent) lui est intégralement consacré. Ecrivant à Miller, qui a évidemment participé à l'hommage, et lui témoignant sa reconnaissance, Delteil ajoute : " Votre vie est un chemin d'échelles, ça grimpe dans tous les sens. Ma vie fut un chemin d'épines, et menée peut­être à l'envers... On a dit de moi tant de bien et tant de mal, à tort et à travers, à contre­temps et contre­sens, que... "

1963.

En mai, toutes les difficultés ayant été enfin aplanies (il a fallu baptiser Caroline pour la circonstance), mariage religieux à Roquefort­les­Pins (Alpes­Maritimes). Les témoins sont Marie (qui a beaucoup insisté pour que ce mariage soit célébré) et le professeur Jean Camp. En octobre, voyage en Espagne (Valence, Castellon de la Plana...).

1964.

Robert Morel édite La Cuisine paléolithique.

1965.

Le 14 mai, alors qu'il séjourne à Cavaillon, il apprend qu'il vient de recevoir le Grand Prix international de littérature gastronomique, décerné par le congrès de Londres de la Fédération internationale de la presse. Il annonce, à paraître chez Robert Morel, ses Lettres d'amour et La Santé paléolithique. Mais ces deux livres ne verront jamais le jour.

1966.

Oedème pulmonaire assorti de graves complications cardiaques. Dans les années qui suivent, il souffrira de plus en plus de son angine de poitrine. Miller, dès 1959, avait recommandé à Lawrence Durrell de lire le François d'Assise qui allait paraître et d'en rencontrer l'auteur (cf. lettre du 31 octobre 1959, la dernière de la Correspondance privée Durrell­Miller, Buchet­Chastel, 1963). Selon Frédéric­Jacques Temple, la rencontre des deux hommes en 1966 se solda par un échec : " J'eus l'occasion de conduire Durrell, toujours réticent, chez Delteil, lors d'un séjour que fit à Sommières Georges Katsimbalis, " le colosse de Maroussi " , désireux de revoir Montpellier où il avait été étudiant. Delteil se montra amical, brillant et paradoxal, comme à l'habitude, mais le courant ne passa pas, entre Durrell et lui, comme l'avait espéré Miller. " (Henry Miller, La Manufacture, 1986.)

1967.

Vers le 10 octobre, dernière visite de Miller à la Tuilerie, accompagné de sa nouvelle épouse, Hoki Tokuda.

1968.

Parution remarquée de la Deltheillerie, étiquetée " roman " par les soins de Delteil lui­même. C'est le début d'une réelle reconnaissance : double page dans le supplément littéraire du Monde, interview dans Le Figaro littéraire, une émission de Michel Polac et Yannick Bellon sur la première chaîne de télévision le 20 mars, une autre de Jean­Louis Bory sur la seconde chaîne le 3 octobre, sans oublier les honneurs cinématographiques de Pathé­Actualités en décembre. Et, ce même mois, les 11, 15 et 19, enregistrement d'entretiens importants pour France­Culture avec Pierre Lhoste (deux heures et quart d'émissions)... Il semble bien qu'à partir de ce moment­là, Delteil ait rêvé d'un retour plus conséquent dans les librairies et donc d'une réédition de ses oeuvres autres que celles épargnées dans les Oeuvres complètes. En juin, visite d'André de Richaud à la Tuilerie : De Richaud meurt à Montpellier quelques mois plus tard, le 29 septembre.

1969.

En mars et avril, rétrospective de son oeuvre à la bibliothèque universitaire de la faculté des lettres de Montpellier organisée par Jean­Pierre Bernard. Suit la publication d'un numéro spécial d'Entretiens (éditions Subervie, Rodez) sous la direction de Donato Pelayo. C'est le premier véritable ensemble critique qui lui est consacré : une soixantaine de noms - souvent prestigieux - figurent au sommaire. Du 9 septembre au 17 octobre, diffusion sur France­Culture des entretiens avec Pierre Lhoste, sous le titre " Dialogue avec Joseph Delteil " En novembre, Robert Morel réédite Choléra. Sur la couverture blanche, outre le titre et le nom de l'auteur, figure la courte et célèbre préface : " L'Art, c'est moi. " " Une épidémie de choléra en Espagne, se souvient l'éditeur, nous permit d'en vendre quelques exemplaires. "

1970.

C'est son ami Max Chaleil qui avait fait découvrir Delteil à Jean­Marie Drot. Le réalisateur, enthousiaste, rencontre Delteil pour la première fois en août à La Galaube, à l'occasion du tournage, en trois jours, des six émissions des " Archives du XXe siècle " consacrées à Delteil par le producteur Jean­José Marchand (émissions qui ne seront diffusées que début 1974. Drot ne veut pas en rester là : il a l'intention d'aller plus loin et se met à l'écriture d'un film sur l'écrivain de la Tuilerie . Lui, justement, travaille sur deux livres : Sans cul ni tête, dont le sujet nous est resté inconnu (peut­être un premier état d' Alphabet?) et La Mort de Jésus (manuscrit dont il ne subsiste apparemment aucune trace).

1971.

Du 20 au 26 mai, diffusion sur France­Culture d'une seconde série de six entretiens avec Pierre Lhoste. En octobre, tournage à la Tuilerie, en une semaine, de Vive Joseph Delteil ou La Grande Journée, écrit et réalisé par Jean­Marie Drot. Juste avant Noël, mort de Marie Delteil :

ìElle était le lien avec le monde des ancêtres, de la nature des mystères " , écrit Delteil à la disparition de sa soeur.

1972.

Les 27 février et 5 mars, première diffusion à vingt heures trente sur la deuxième chaîne des deux parties, de cinquante­deux minutes chacune, du film de Jean­Marie Drot. En avril, Delteil rallie le Comité de défense du Larzac (organisation qui conteste alors le projet d'extension d'un camp militaire dans cette région agricole). Il compte cette année­là voir reparaître Les Cinq Sens (roman qui avait été écarté des Oeuvres complètes) chez Grasset. Espoir qui s'avère bientôt vain. Tout comme disparaît également bien vite celui d'un Delteil dans la collection " Poètes d'aujourd'hui " chez Seghers (c'est la Vie de saint Delteil d'André de Richaud qui aurait dû faire office d'introduction biographique).

1973.

Il publie en mars Alphabet. Le 4 octobre, diffusion sur la troisième chaîne de l'émission " Chansons en liberté " , réalisée par Jacques Ertaud, qui a amené à la Tuilerie Charles Trenet et Gaston Bonheur.

1974.

Diffusion de la série " Archives du XXe siècle " de fin janvier à début mars. Sortie presque simultanée du livre Vive Joseph Delteil que Jean­Marie Drot a tiré de ses émissions. Pierre Tesquet publie ses Clefs pour " Choléra " chez Pierre­Jean Oswald.

1975.

Le 3 mai, reçu à l'Académie des jeux floraux de Toulouse, il prononce un Eloge de Clémence Isaure. Le 3 juin, il écrit à son éditeur : il espère une suite à ses Oeuvres complètes et même, il espère voir toute son oeuvre rééditée. Il demande à Grasset de " réimprimer les brûlés " (allusion à son exhortation en 1961 à détruire tout ce qui n'était pas retenu dans ses " oeuvres complètes " ). Début juillet, il écrit une préface pour Soulages, qui expose à Montpellier. Miller est en train d'écrire un petit livre directement en français : J'suis pas plus con qu'un autre. De La Galaube, où il vient alors séjourner pour la dernière fois (mais il ne le sait pas encore, évidemment), Delteil écrit fin juillet à son ami américain une longue lettre qui, remaniée, sera publiée en guise de préface à ce court essai paru en 1976. Création à Béziers le 14 novembre de l'adaptation théâtrale de Jésus II par Christian Liger. La pièce, qui sera reprise du 20 janvier au 20 février 1977 au Théâtre de Paris, est mise en scène par Jacques Echantillon pour sa troupe des Tréteaux du Midi. C'est Jean­Claude Drouot qui tient le rôle de Jésus. Delteil, très fatigué, ne peut assister à la première : " C'est une question de vie ou de mort " , affirme­t­il.

1976.

Les Delteil doivent renoncer à leurs séjours d'été à La Galaube, le propriétaire ayant récupéré sa maison. Ils descendent au domaine de la Caze à Cuxac­Cabardès, dans la même région, mais ils n'y restent guère plus de huit jours, leur vieille servante ne les y ayant pas suivis et Caroline s'avérant incapable désormais de faire la cuisine de manière régulière. En novembre paraît Le Sacré Corps, recueil de textes disparates, dont l'édition ne le satisfait pas. Il est par ailleurs très affaibli (thrombose de l'oeil, fréquentes syncopes...).

1977.

Il commence un livre consacré à une histoire d'amour qu'il connaît bien. Le titre en est : Joseph et Caroline. Il ne pourra achever cet ouvrage. Le 4 avril, Jacques Chancel l'interviewe sur France­Inter pour son émission " " Le même mois, numéro spécial de la revue Rencontres artistiques et littéraires publié sous la direction de Paul Jolas. Le 3 décembre, lors d'une émission spéciale qui lui est consacrée par la radio de la station régionale de F.R.3, il lance un appel contre les centrales nucléaires. C'est sa seule intervention pendant une émission de trois heures.

1978.

Le 12 avril, Joseph Delteil s'éteint à la Tuilerie de Massane, huit jours avant son quatre­vingt­quatrième anniversaire.

1979.

Le 8 décembre, la déclaration légale de l'association Les Delteilliens paraît au Journal officiel. Ce même mois de décembre, Une fille à brûler, adaptation de Jeanne d'Arc, signée et mise en scène par Viviane Théophilidès, est créée à Paris, avec Micheline Uzan dans le rôle de Jeanne. La pièce sera une des révélations du festival d'Avignon 1980. Alfred Eibel édite à Lausanne un hommage publié sous la direction de Claude Schmitt : Delteil est au ciel!

1982.

Le Grand Prix de Paris ou Hippolyte est créé le 26 janvier au Théâtre national de Marseille Marcel Maréchal, par la compagnie Jean­Claude Drouot, dans une mise en scène de Jean­Claude Drouot (qui interprète également le rôle­titre). Caroline Delteil meurt en juillet à Montpellier à l'âge de quatre­vingt­douze ans. En même temps que reparaît chez Flammarion la version 1947 non expurgée de Jésus II, Patrick Collot, libraire­éditeur à Carcassonne, inaugure en novembre avec La Belle Aude une importante série de rééditions. Suivent en effet Les Cinq Sens et Il était une fois Napoléon en 1983 (en coédition avec Denoël), Perpignan en 1984, La Jonque de porcelaine en 1985 et A la Belle Etoile en 1987 (ces deux derniers titres en coédition avec Le Temps qu'il fait). Grasset réédite également, dans sa collection " Les Cahiers rouges " , Sur le fleuve Amour et Choléra dès 1983, et Les Poilus en 1986.

François d'Assise est adapté pour la télévision par Jean­Marie Drot, avec Hugues Quester dans le rôle de François (diffusion sur Antenne 2 le 23 décembre).

1984.

Parution des premiers Cahiers Joseph Delteil sous la direction de Pierre Tesquet. Inauguration du collège Joseph­Delteil à Limoux.

(...)

Rééditions de Delteil aux Cahiers Rouges (chez Grasset)


1994

Première édition de la Grande Deltheillerie à Villar-en-Val

Thèse de doctorat sur Delteil

Journées Delteil à Cerisy : "Les aventures du récit chez Joseph Delteil" sous la direction de Robert Briatte


1998

Premier site Internet consacré à Joseph Delteil


2001

Association La Deltheillerie pour la réhabilitation de la Tuilerie de Massane


2004

Rééditon du Coeur Grec (éditions FINN)


2005

Edition au "Temps qu'il fait" d'articles de Delteil sous le titre L'Homme coupé en morceaux

Sauvetage de la Tuilerie de Massane (pétition nationale contre l'appétit des promoteurs)

Edition de luxe du Discours aux oiseaux illustré par Christian Lacroix

2006

Le sentier en poésie à Villar-en-Val prend son essor

2007

Retour de la Grande Deltheillerie (tous les deux ans)

2008

30ème anniversaire de la mort de Delteil

1er festival Delteil à Pieusse

2009

1ère "Deltheillerie en Fête” à Grabels

2010

Journée d'étude Delteil à l'Université de Perpignan

2012

Décès de Sophie HERR (1921-2012), fille de Caroline Dudley-Delteil

2013

François d'Assise d'après Joseph Delteil mise en scène Adel Hakim adaptation Adel Hakim et Robert Bouvier

2014

Décès de Jacques Chancel et de Yves Rouquette

2018

40ème anniversaire de la mort de Delteil : nombreuses manifestations, colloques et rencontres

2020

Décès de Frédéric-Jacques Temple

Joseph Delteil et les autres (éditions Academia)

Association Vill'arts